À mon arrivée à l’Imperial College, je m’attendais à être entouré de personnes brillantes. Le discours d’ouverture de l’année est prononcé par George Monbiot, un journaliste influent du Guardian. À l’époque, je ne me rends pas compte que son discours n’est qu’une propagande sur le changement climatique. Moi-même, je suis encore à 1000 lieues d’être un « climato-sceptique ». Je ne sais même pas qu’il existe, derrière cette « vérité » officielle, une immense controverse scientifique. D’ailleurs, si je veux travailler sur les biocarburants, c’est justement pour m’assurer qu’ils constituent une véritable alternative durable aux carburants fossiles.

Je me plonge donc dans cette étude avec frénésie. Il va me falloir quelques mois pour comprendre  qu’il s’agit purement et simplement de greenwashing : sur l’ensemble de leur cycle de vie, en tenant compte des changements d’usage des sols, la plupart des agrocarburants émettent plus de carbone que les carburants fossiles ! C’est d’autant plus problématique que la promotion des agrocarburants repose sur leur prétendue réduction des émissions de CO2… Néanmoins, si l'on remet en cause le rôle central du CO2 dans le changement climatique, ce critère devient discutable. À ce stade cependant, je ne remets pas encore en question ces fondements. Et au-delà du « bilan carbone », l’impact environnemental global s’avère particulièrement catastrophique selon moi. 

La production de ces carburants repose en fait sur une agriculture hyper-intensive, à l’opposé des principes de l’agriculture biologique. Je décide alors de les qualifier par un terme plus neutre et plus juste, celui d' "agrocarburants", afin d'éviter toute confusion avec le « bio ». J’utiliserai ce terme aussi bien dans ma thèse qu’au quotidien pour expliquer l’objet de mes recherches. Une précédente rencontre avec Nathalie Kosciusko-Morizet, alors députée, future ministre de l’environnement, m’avait cependant déjà mis la puce à l’oreille : le bilan environnemental des « biocarburants » n’est peut-être pas aussi positif qu’on le prétend. C'est bien la seule personne à m’avoir mis en garde.

En juin 2008, je présente ces découvertes lors d’une réunion à Paris avec les représentants de ma fondation : une représentante de Total, un de Diester Industrie (le plus gros producteur de biodiesel en Europe), un de Axens (pétrochimie), et un dernier de Renault. À la fin de ma présentation, la représentante de Total me hurle dessus, arguant que mon travail c’est du n’importe quoi, que je n’ai rien compris, que je dois tout revoir, etc. Jamais de ma vie je n’ai reçu autant de violence dans le cadre de mon travail. Je réalise que j’ai affaire à des lobbies puissants, et j’en vois la manifestation directe. De toute évidence, Total comptait sur ce greenwashing, car ils mettent 5 à 7 % d’agrocarburants dans les carburants à la pompe pour redorer leur image.

Quelques semaines plus tard, je reçois un courrier m’interdisant d’utiliser le nom de la fondation pour mes communications à des conférences… 

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Extrait de Quand les masques tombent, de Jérémie Mercier, parution novembre 2024.